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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 05:03

Vous ne le saviez peut-être pas, mais il existe un assez grand nombre de viticulteurs, principalement dans les Côtes du Rhône, qui s'appellent Tardieu...

Si ça vous dit, allez par ici : http://tardieu-laurent.fr/

Le poète Jean Tardieu évoque le vin dans son recueil pour apprendre les tables de multiplication

: ".../...une bouteille de vin

quatre fois cinq vingt.../..."

J. Tardieu (Je m'amuse en rimant)

Il récidive dans cet hommage à André Frénaud :

LES MORTS

NOUS TRAHISSENT TOUJOURS

(Hommage à André Frénaud)

Je vais le voir chez lui, où il repose à présent. C'est, comme on dit, un «beau» jour. Un jour qui passe gentiment ses rayons à travers les persiennes fermées comme le facteur glisse un pli dans la boîte aux lettres.

Il est couché dans sa chambre. Près de ses meubles et de ses tableaux. L'un des plus émouvants est une peinture de Raoul Ubac, rigoureuse et sobre, semblable à ses ardoises sculptées : une forme étendue, faite de larges bandes noires et blanches : le style abstrait, mais aussi un chevalier qui vient de mourir au combat.

Je le reconnais bien là, le combattant de la sincérité, sans peur et sans illusions. Je le reconnais malgré sa pâleur, malgré son immobilité. Il s'est endormi hier matin et ne s'est plus réveillé.

Je lui pose tout bas des questions. Mais il refuse de répondre.

Voilà : il ne veut pas répondre. Pour les vivants qui l'aimaient, c'est une ingratitude absolue. Pourquoi ? Parce qu'il est parti de l'autre côté de la barricade, dans une étendue interdite où on ne parle à personne. Comme si on l'avait chassé de notre monde, très loin, au fin fond d'un pays dont nous ne connaissons ni les couleurs, ni les sonorités, ni le langage.

Et maintenant, ce mutisme soudain ! Imposé. Implacable. Celui qui parlait avec son accent bourguignon où roule le bon tambour des R. Il était de ceux qui nous semblaient les plus aptes à nous renseigner, c'est-à-dire un poète qui, par l'acuité de sa vision, par sa «claire-voyance», traduite en mots si justes et si lourds, est un de ceux qui, en somme, n'ont rien fait d'autre, durant leur vie, que parler du scandale irrémédiable de la mort.

Ils nous ont abandonnés, ces ingrats. Leur front si plein, leurs voix si joyeuses ont tout emporté, même les chansons, leurs mains si belles avec ce croisement pareil à des menottes que nous leur imposons sans leur permission, ces mains ne pourront plus nous faire aucun signe, par exemple pour nous inviter à boire un grand verre de vin, ou nous désigner les chemins à prendre, — ou à éviter.

Nous qui sommes restés sur le seuil, à attendre sans rien comprendre, nous n'avons plus qu'une ressource, c'est de partir à notre tour, sans même avoir la récompense qu'ils nous accompagnent.

(Paris, 24 juin 1993)

Jean Tardieu, Da Capo, Gallimard, 1995, p. 34-35.

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Terminons avec cette curiosité : Dans le village de Néant, commune du Morbihan, je n'ai pas trouvé le numéro de téléphone de madame Lamôme. A croire qu'a existe pas !...

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commentaires

I
C’est tronc!… Sourcil bien!…toujours là ? Eh bien, ma quille ! Pourquoi serpez-vous là ? Vous pouvez vidanger! »
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T
Excédante, votre montgolfière ! <br /> <br /> (Pour les non-initiés, il s'agit d'un extrait "d'un mot pour un autre", de Jean Tardieu !)
M
Très beau ce texte de Tardieu.
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T
Avis partagé. <br /> Ce poème "tranche" terriblement avec les poèmes les plus connus de Tardieu...
C
Pour ce Jean Tardieu différent du Jean Tardieu que je connais (la poésie), merci !
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T
A votre service, monsieur Cristophe !...<br /> <br /> (Comme le rectangle ou le losange, il est rare qu'un poète n'ait qu'un seul côté !...)
L
Little rebond: très beau poème hommage de Jean Pérol à jean Tardieu, dans son recueil Libre livre.<br /> <br /> Extrait:<br /> et tout bredouillant j'ai osé<br /> le féliciter d'avoir réussi à glisser dans les grandes tatanes de la poésie française<br /> le petit caillou de l'humour pour la faire boiter un peu cette arrogante
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T
Merci pour ce rebond qui me "parle" bien...
T
c'est bon de faire un bout de chemin avec nos grands prédécesseurs (en toute humilité) et de trinquer...<br /> à la tienne !
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T
Oui, Thierry, on ne vient pas de la planète Mars, juste de la planète Poésie...<br /> <br /> (à la tienne aussi !...)