Aujourd'hui, un poème de Michel Baglin, paru récemment dans l'anthologie "Texture" n° 3.
Aux écluses
Il y a toujours du monde aux écluses,
quand se présente un bateau,
des gens surgis de nulle part, de derrière les
platanes du chemin de halage,
d'une ferme lointaine, d'un passage oublié,
tombés de la lune peut-être
ou descendus de vélo.
Il y a toujours du monde aux écluses,
des sentinelles penchées sur les remous.
Et l'on dirait qu'elles sont venues
sous la voûte des arbres
saluer du fond des siècles
avec le lent courant des biefs,
dans la traîne des feuilles,
les puissances de l'eau.
Il y a toujours du monde aux écluses,
des curieux enjoués ou fascinés,
le pied sur un bollard (1)
et les mains dans le dos,
qui savent presque tout des mariniers,
de la manoeuvre et des vantelles (2)
dont chaque tour de manivelle
ouvre plus grandes des sources dans les yeux.
Il y a toujours du monde aux écluses,
des amoureux des canaux,
des ponts, des ports, des épanchoirs (3),
battant le pavé des bajoyers (4)
pour récupérer le bonjour avec l'amarre
et regarder dans le sas s'enfoncer
entre les parenthèses des portes
le voyage un instant suspendu
d'une autre vie rêvée.
Michel BAGLIN
(Un présent qui s'absente,
éd. Bruno Doucey)
(1) bollard : borne d'amarrage des bateaux.
(2) vantelles : petite vanne placée sur une porte d'écluse.
(3) épanchoir : ouvrage d'art par où s'écoule le trop-plein d'un canal.
(4) bajoyers : mur latéral d'une chambre d'écluse.
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+ Faire (un peu) connaissance avec Michel Baglin, par ici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Baglin