"Sandales de Satsuma aux pieds
à la main une canne
je me souviens d'avoir cueilli
des fleurs de lespédèze
c'était il y a longtemps."
(Shiki)
A qui passe en hâte sur les chemins, le buisson de lespédèze paraît sans attrait. Aucun symbole impérial ne s'attache à ses branches
ténues, ses pétales minuscules d'un violine pâle à peine marqué. Sa forme est vague, ses feuilles banales, il est sans parfum. Et pourtant... Avec plus de 130 poèmes qui le nomment, il est le
végétal les plus célébré d'entre tous dans l'anthologie du Manyôshû, ce trésor où puiseront tous les poètes japonais après le huitième siècle et qui façonnera à travers les générations une
forme unique de sensibilité littéraire au paysage.
Au coeur du palais impérial de Kyôto, dont on peut parcourir les allées librement un jardin demeure inaccessible, inviolable, le mystérieux "clos aux lespédèzes", uniquement planté de
cette essence que l'on croirait commune.
L'extraordinaire, l'insoupçonnable du lespédèze, seul le hasard du vent le révèle et le temps. Le temps de regarder le souffle de la
brise traverser le buisson, bouleverser sa légèreté et danser dans ses rameaux avec une si miraculeuse souplesse qu'aucune goutte de rosée ne semble pouvoir en tomber. Qui
n'a vu ainsi se métamorphoser sous l'effet de la brise un de ces buissons, qui n'a vu l'affolement soudain de ses branches retrouver leur suspens lorsque le vent s'en déprend, dans une
élégance parfaite, ne sait rien de la beauté du lespédèze.
Tant de poèmes le lient à la rosée, figure poétique des larmes, et au vent qui en disperse les fleurs, que le lespédèze est, à lui seul, un adieu
et un chant. Dame Murasaki lui dédia son tout dernier poème lorsqu'elle sentit sa fin venir :
"L'espace d'un instant
elle paraît dans la quiétude
au vent pourtant
bientôt s'éparpillera
la rosée du lespédèze."
L'observation du lespédèze nous conduit à une autre appréciation du végétal, attire notre attention
vers un balancement, une dynamique, une trace chorégraphique unique. Le lespédèze nous enseigne la musique des formes, les figures du temps. De là aussi, sans doute, sa connivence avec
quelque chose en nous d'un départ, d'un arrachement mêlé de quiétude.
Le lespédèze illustre, plus que tout autre végétal, le karumi, cette légèreté que prônait le
poète Bashô dans l'écriture, "telle une rivière peu profonde dont on verrait le lit de sable fin".
"Sans faire tomber
une seule goutte de rosée
doucement ondule le lespédèze."
"Parmi les vagues
mêlés aux coquillages minuscules
pétales de lespédèze."
(Bashô)
(Après de telles beautés, pas envie de vous dégoter une citation apocryphe...)