Pierre Maubé est un grand connaisseur de la poésie d'aujourd'hui, c'est un passeur hors pair qui nous ouvre en grand les portes de son blog, même quand c'est pour y exprimer sa "fatigue" à l'égard de certain(e)s...
Le dernier loup, paru récemment aux éditions Bérénice, rassemble plus de soixante-dix proses poétiques. C'est un livre dense, profond, un recueil émouvant parce que l'auteur s'y livre corps et âme, entièrement. Dans une suite de tableaux tout d'abord où le présent historique prend tout son sens. Des confidences familiales ensuite, parfois claires, parfois sybillines, toujours d'une extrême délicatesse. Le tout émaillé de dialogues tendres et drôles ainsi que d'un éventail de références culturelles, - poétiques, mais pas seulement -, qui va de l'Antiquité à nos jours...
Un ancrage marqué pour un village des Pyrénées, une certaine nostalgie pour la civilisation de la ruralité... Le fil rouge qui parcourt tout le livre me semble être cependant une recherche sur le difficile mais essentiel acte d'écrire, un incessant questionnement sur le miracle toujours renouvelé du poème.
Difficile de choisir un seul poème :
A l'angle du mur.
Dans le jardin, à l'angle du mur, une touffe de thym. Elle est énorme, c'est presque un buisson, inépuisable source de parfums pour les civets dominicaux.
Je passais devant depuis des années, ce matin-là, je m'arrête près d'elle.
La voix de mon père me tire de ma rêverie.
" - Moi aussi, tu sais, je l'ai toujours vue.
- Depuis quand est-elle là ?
- Ma grand-mère me disait que son grand-père y prenait déjà des brins de thym..."
Le grand-père de mon arrière-grand-mère... Il a dû naître vers 1770.
Sous Louis XV.
Deux siècles. Quatre révolutions. Cinq républiques. Une dizaine de guerres.
Six générations.
Un peu de thym.
Ce n'est pas un cèdre du Liban, ni un séquoia géant de Californie. Ce n'est pas un monument bien grandiose. C'est juste une touffe de thym dans un coin de jardin, quelque part dans les Pyrénées centrales.
Elle accompagne une famille, les parents, les enfants, les enfants qui deviennent parents, ceux qui viennent à leur tour dans le jardin, ceux qui ne viendront plus jamais. Elle fait son travail modestement, sans impatience et sans mémoire.
Au présent.
Le temps, c'est de l'argent ? L'argent n'a pas d'odeur, l'odeur n'a pas d'histoire...
Je prends quelques brins de thym et je les froisse entre mes doigts.
(Image Internet : dico-cuisine.fr)