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Bloody beach
Par Bruno Sourdin, chef d'édition de la rédaction de Ouest-France à Saint-Lô, lundi 30 avril 2007
Né en 1950 à Pontorson, journaliste, chef d’édition à Ouest-France, à Saint-Lô (Manche) et critique littéraire en charge de la rubrique poésie, Bruno Sourdin a publié : Migrations (Gros
Textes) en 1999, Claude Pélieu et Mary Beach, mille milliards de collages (Les Deux-Siciles, 2002), Hazel (Les Deux-Siciles, 2005).
Le poème ci-dessous, Bloody beach, a été écrit en 2004, année du 60e anniversaire de la Libération. La ville de Roanoke, Virginie (U.S.A.), est jumelée aujourd’hui avec Saint-Lô.
Le poème ci-dessous, Bloody beach, a été écrit en 2004, année du 60e anniversaire de la Libération. La ville de Roanoke, Virginie (U.S.A.), est jumelée aujourd’hui avec Saint-Lô.
1.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les fleuristes de Roanoke dorment parmi les roses et les tulipes en rêvant à la tendresse des vagues sur les galets de Normandie et que dans les rues de Virginie toutes les portes s’ouvrent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de brailler et de bavarder sans me soucier de rien, mais je me sens seul alors que tous les souffleurs de jazz collent leur bec sur leur saxophone et que je revois nos vieilles maisons en bois pleines de mystères, oui j’entends glisser à travers moi les hurlements de la guerre, oui je sais ce que c’est que d’attendre depuis tant de jours le grand frisson quand au loin un goéland nous fait des signes engloutis par la nuit
2.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les couturières de Roanoke marchent en équilibre dans un jardin de poupées en rêvant au grondement des vagues sur les falaises de Normandie et que dans les rues d’Amérique tous les amoureux frôlent les étoiles autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de m’enivrer et de passer mes journées à rêvasser, mais je me sens fébrile alors que tous les batteurs de jazz de Virginie frappent la peau de leur tambour et que je revois nos vieilles collines pleines de voix qui nous parlent, et oui j’entends se répandre à travers moi les cris de la guerre, oui je sais ce que c’est que de semer des larmes depuis tant de jours quand au loin un cormoran traverse le grand vide qu’est le monde
3.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les serveuses de bar de Roanoke cheminent d’un pas léger parmi les verres de bière en rêvant à la patience des vagues sur les rochers de Normandie et que dans les rues d’Amérique tous les taxis tourbillonnent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de picoler et de m’agiter dans tous les sens, mais je me sens misérable alors que tous les chanteurs de jazz de Virginie entonnent des chorus déchaînés et que je revois nos vieux trains poussiéreux pleins de larmes d’adieu, et oui j’entends monter à travers moi les vociférations de la guerre, oui je sais ce que c’est que d’espérer depuis tant de jours un vrai matin d’allégresse quand au loin un tourne-pierre nous fait des signes insensés
4.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les dactylos de Roanoke font crépiter leur machine à écrire en rêvant à la caresse des vagues sur le sable de Normandie et que dans les rues d’Amérique toutes les fenêtres s’agitent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de vadrouiller et de faire encore une grande virée, mais je me sens terrifié alors que tous les pianistes de jazz de Virginie swinguent avec nonchalance et que je revois nos vieilles Chevrolet pleines de fureur, et oui j’entends s’élever à travers moi les rugissements de la guerre, oui je sais ce que c’est que de guetter depuis tant de jours la pâle éternité quand au loin un huîtrier-pie nous fait des signes en volant avec les anges
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les fleuristes de Roanoke dorment parmi les roses et les tulipes en rêvant à la tendresse des vagues sur les galets de Normandie et que dans les rues de Virginie toutes les portes s’ouvrent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de brailler et de bavarder sans me soucier de rien, mais je me sens seul alors que tous les souffleurs de jazz collent leur bec sur leur saxophone et que je revois nos vieilles maisons en bois pleines de mystères, oui j’entends glisser à travers moi les hurlements de la guerre, oui je sais ce que c’est que d’attendre depuis tant de jours le grand frisson quand au loin un goéland nous fait des signes engloutis par la nuit
2.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les couturières de Roanoke marchent en équilibre dans un jardin de poupées en rêvant au grondement des vagues sur les falaises de Normandie et que dans les rues d’Amérique tous les amoureux frôlent les étoiles autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de m’enivrer et de passer mes journées à rêvasser, mais je me sens fébrile alors que tous les batteurs de jazz de Virginie frappent la peau de leur tambour et que je revois nos vieilles collines pleines de voix qui nous parlent, et oui j’entends se répandre à travers moi les cris de la guerre, oui je sais ce que c’est que de semer des larmes depuis tant de jours quand au loin un cormoran traverse le grand vide qu’est le monde
3.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les serveuses de bar de Roanoke cheminent d’un pas léger parmi les verres de bière en rêvant à la patience des vagues sur les rochers de Normandie et que dans les rues d’Amérique tous les taxis tourbillonnent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de picoler et de m’agiter dans tous les sens, mais je me sens misérable alors que tous les chanteurs de jazz de Virginie entonnent des chorus déchaînés et que je revois nos vieux trains poussiéreux pleins de larmes d’adieu, et oui j’entends monter à travers moi les vociférations de la guerre, oui je sais ce que c’est que d’espérer depuis tant de jours un vrai matin d’allégresse quand au loin un tourne-pierre nous fait des signes insensés
4.
Non je ne veux pas mourir sur cette plage quand toutes les dactylos de Roanoke font crépiter leur machine à écrire en rêvant à la caresse des vagues sur le sable de Normandie et que dans les rues d’Amérique toutes les fenêtres s’agitent autour de minuit, non je n’ai pas passé le temps de vadrouiller et de faire encore une grande virée, mais je me sens terrifié alors que tous les pianistes de jazz de Virginie swinguent avec nonchalance et que je revois nos vieilles Chevrolet pleines de fureur, et oui j’entends s’élever à travers moi les rugissements de la guerre, oui je sais ce que c’est que de guetter depuis tant de jours la pâle éternité quand au loin un huîtrier-pie nous fait des signes en volant avec les anges
(Note : ce poème de Bruno Sourdin est consultable sur le blog "ouest-france", rubrique "le coin des poètes", archives d'avril 2007.)