Voici une petite antho, modeste dans son format, mais très esthétique dans sa réalisation. Elle rassemble une trentaine de poètes qui avaient pour mission d'évoquer le verbe : "respirer" sans jamais utiliser ce mot ni ceux de la même famille. Ce sont les éditions de la chouette imprévue, basées en Picardie, qui ont eu cette idée originale et qui en ont assuré la fabrication. (cf. https ://www.lachouetteimprevue.com)
En ces temps troublés, pendant lesquels nous portons un masque et évitons les effusions trop rapprochées, il est bon de se rappeler l'importance vitale de la respiration. C'est chose faite avec ce panorama très large, propre à toute anthologie : une bouffée d'air par-ci, une inspiration par-là, dans tous les sens du terme, un souffle de vie, (Hélène Dufrénoy), on prend de la hauteur, on navigue du ciel au baiser (Sausen Mustafova)...
Grande diversité aussi dans la forme et la longueur des poèmes proposés : des vers d'une seule ligne pour Sébastien Deloison (La mer), de la prose pour Béatrice Pailler (Entêtée), une mise en page sybilline pour Alice Monard (Besoin de Japon)... Quant au thème choisi pour cette antho, on le suggère astucieusement à travers des périphrases plus ou moins évocatrices : Ainsi viennent les parfums... (Isabelle Bois Cras), S'éprendre (Simoné), Permanence malgré soi (Patrice Maltaverne), Elle est là, la promesse (Matt Mahlen), Air (Fabrice Farre) ou encore R (Laurianne Coutte).
Trois poèmes pour vous faire une idée :
Oxygène
La tête renversée vers le ciel
poumons large ouverts
par temps d'apnée ou d'asphyxie
quand le jour
s'étrangle aux fenêtres
ouvertement déboutonner le col
de l'existence laisser les mots
circuler à l'air libre
Samuel Martin-Boche
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Au-delà du kilomètre
Je cueille ma liberté au bout des chemins de feuilles rouges
la bicyclette sur le bas-côté
je glisse clandestine près des eaux du fleuve
discrètement sur la pointe des pieds dans les herbes fraîches
seule dans la verdure d'automne
je m'emplis de la nature par crainte de me vider de l'humain
et je verse des larmes le dos dans la terre
Claire Cursoux
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Engoulevent
L'engoulevent
est un oiseau
de pleine lune
Bien posé sur sa machine
il optimise ses trajectoires
gomme les virages
et tête baissée fonce
bouche grande ouverte
De l'autre côté
de la planète
roule un cycliste
Engoulevent Jimmy
qu'il s'appelle
Il entre dans l'air
comme on entre
dans du beurre
il se sent pousser
des ailes
de feuille morte
et bec grand ouvert
la bise il fend
Jean-Claude Touzeil
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