N.B. : article mis également en ligne sur le site d'Alain Boudet, ici : http://www.latoiledelun.fr/#onglet
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Abdellatif Laâbi :
La saison manquante, suivi de Amour jacaranda
avec treize encres de Claude Margat
(éditions de la Différence)
C'est Jacques Bertin qui chantait il y a quelques années déjà : « J'ai vécu ma vie pleine comme une écriture... » Voilà une formule qui pourrait bien convenir à Abdellatif Laâbi pour « La saison manquante », première partie de l'un de ses derniers livres de poésie. C'est l'occasion pour lui de prendre de la distance, faire un peu le point, situer le poète dans l'univers et relativiser l'importance de ses traces. En toute bonne foi, en toute simplicité. De sacraliser aussi l'indispensable, la vitale utopie :
« ...L'on rêverait toujours / mais en plus grand / comme d'habiter l'univers entier.//…/...comme d'introduire / le principe d'amour / dans le préambule / de la Constitution universelle. »
La deuxième partie, « Amour jacaranda », repose sur la célébration de l'Aimée (A majuscule de rigueur). La compagne des bons comme des mauvais jours. L'omniprésente : « …/...alors que tu es à deux pas / dans la pièce d'à-côté / veillant de près / à ce qui se passe dans ma tête.../... » La complice en langues communes (arabe, français, espagnol, anglais) pour de jouissives joutes étymologiques ou des exercices de traduction...
Et ce, dans l'ombre du jacaranda, considéré comme un arbre-totem : « …/...Il nous a suffi / de le distinguer / parmi tant d'autres arbres / parce qu'il était plus frêle / plus discret / oui, plus humain / et qu'en matière d'humanité / il présentait une ressemblance / avec les gens les plus fragiles / les plus humbles de notre pays.../... » Un arbre qui a de surcroît le privilège de fleurir deux fois...
L'auteur du fameux « J'atteste... » (éditions Rue du monde), poursuit ainsi infatigablement la même veine humaniste avec la même écriture limpide et sûre, le même élan chaleureux et fraternel qui touche au cœur.
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Accepter
d'être un peu bousculé
dans la foule
d'être invisible
aux yeux
de la plupart des passants
d'entendre dans un café
les voisins de table
débiter des banalités
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S'émouvoir
à la seule présence
de nos semblables
et quels qu'ils soient
les remercier en secret
d'exister
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Abdellatif Laâbi.